La littérature pour dépasser l'affrontement

Mohamed Mbougar Sarr, la littérature au centre de la vie

Son roman La plus secrète mémoire des hommes a fait sensation à la rentrée littéraire avant de remporter le Prix Goncourt. Mohamed Mbougar Sarr retrace une quête pour retrouver l’histoire d’un écrivain oublié, d’abord acclamé puis décrié. Il a évoqué son “désir de dépasser la question du face-à-face entre Afrique et Occident” pour mettre en avant la dimension universelle de la littérature. Plusieurs entretiens avec  Mohamed Mbougar Sarr ont été publiés dans Jeune Afrique à l’occasion de prix littéraires qui lui ont été décernés dès 2014.

Mohamed Mbougar Sarr  s’est installé en France pour suivre des études littéraires avant de choisir de se consacrer pleinement à l’écriture. A 31 ans, il est parmi les plus jeunes lauréats du Prix Goncourt. Le prix a été décerné à plusieurs reprises à des auteurs francophones originaires d’autres pays. En 2016, on a remarqué l’attribution du Goncourt à l’écrivaine franco-marocaine Leïla Slimani pour son roman Chanson douce, elle avait alors 35 ans et était la 12e femme à remporter le prix. Des exemples parmi tant d’autres de l’enrichissement de la culture française par son ouverture aux regards venus d’autres frontières.

Exil et déchirements

L’île de Zanzibar, aujourd’hui intégrée à la Tanzanie, était un lieu multiethnique où une population bantoue avait vu s’installer au fil des siècles des commerçants perses, indiens, arabes et portugais. Au 17ème siècle, après avoir chassé les colons portugais, le Sultan d’Oman y transfère sa capitale avant de scinder le territoire de celui d’Oman pour fonder le Sultanat de Zanzibar. L’exportation de l’ivoire y a pris son essor, on y introduit le giroflier avec des plantations cultivées par des esclaves. Zanzibar devint l’une des villes les plus riches d’Afrique avec le développement de la traite qui se pratiquait depuis l’Antiquité sur ces côtes vers le Golfe Persique et l’empire byzantine. Ce sinistre commerce a connu une forte croissance au 19e siècle, jusqu’à son interdiction en 1876, la majorité des esclaves n’ayant été libérés qu’en 1897.

Le nom de Zanzibar prit un aura mythique en Europe au milieu du 19e siècle, quand Richard Burton décrivit l’approche par la mer bleu saphir et une vision resplendissante de minarets et palais blancs. D’autres voyageurs ont découvert en débarquant une ville ravagée par la misère et les maladies, loin de l’idée envoûtante de girofliers au parfum exotique. Aujourd’hui l’île est inscrite au Patrimoine Mondial de l’UNESCO figure parmi les destinations touristiques de la Tanzanie.

Vieux voiliers en bois échoués sur une plage de Zanzibar

La langue swahili, lingua franca d’environ 90 millions des habitants de l’Afrique de l’Est, est une langue bantoue mais tient son nom de l’arabe. Langue du commerce en Tanzanie, elle fut adoptée après l’indépendance comme langue nationale de la Tanzanie pour forger une nation unifiée entre les diverses communautés.

Abdulrazak Gurnah, lauréat du Prix Nobel de la Littérature 2021, a émigré loin de sa terre natale avant de devenir écrivain anglophone et professeur d’anglais et littérature postcoloniale à l’université du Kent. Il a dirigé notamment un recueil d’études sur Salman Rushdie. De langue maternelle swahili et culture arabe, il avait quitté à 18 ans son île natale du Zanzibar sur fond des violences après le coup d’Etat de 1964 qui a renversé le sultanat, l’année suivant la fin du protectorat britannique.  Laissant les affrontements politiques de la décolonisation en arrière-fond, Abdelrazak Gurnah sonde les profondeurs des âmes pour exprimer le trouble identitaire de personnes déracinées de la terre de leur enfance ou leur vie antérieure.

Il disait avoir vécu lui-même son exil comme un passage dans une autre vie, coupant le lien avec son monde d’avant. Il dépeint de l’intérieur la rupture et le dépaysement vécu par des personnages déracinés, navigant dans un no-man’s land mental entre leur culture d’adoption qui les voit comme étrangers et l’ambivalence de leur culture de naissance. Dans Paradis, un garçon tanzanien est envoyé loin de chez lui pour un séjour chez un “oncle”. Il va apprendre que sa famille l’a vendu. Près de la mer emmène le lecteur au cœur du destin mouvementé de deux réfugiés politiques qui se rencontrent en Angleterre.

Ces deux romans, Paradis et Près de la Mer, ont été traduits en français et seront réédités en décembre 2021.